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Compte
rendu de pratique :
J'ai eu il y a quelques temps l'occasion d'assister à un atelier utilisant une
tablette tactile en Grande Section à l'école Flornoy à Bordeaux
dans la classe de ma collègue Carole Lopez.
http://www.ludovia.com/news-1489.html
J'ai
été surpris de voir comment ces élèves de Grande Section
pouvaient produire en totale autonomie des documents numériques. En
l’occurrence il s'agissait de créer les pages d'un imagier.
Utilisant l'application Book Creator pour tablette "Ipad" il pouvaient seuls :
- Écrire un mot
- Placer ce mot où bon leur semblait sur la page
- Prendre une photo d'un objet correspondant au mot.
- Récupérer la photo dans les fichiers images
- Positionner la photo sur la page près du mot.
- Enregistrer leur voix disant ce mot.
- Positionner sur la page un bouton déclenchant la lecture du fichier son.
Une
suite complexe d'actions visiblement maîtrisées par tous les
élèves. L'atelier était aussi l'occasion pour les élèves
de s'entre-aider à travers de nombreux échanges.
Autonomie,
entre-aide, auto-apprentissage les outils numériques semblent
favoriser ces comportements. Afin d'observer les possibilités
d'auto-apprentissage de la tablette et en m'inspirant de cette
séquence, j'ai proposé à un groupe de 10 élèves de Moyenne
section de créer un document numérique de présentation.
Ces
élèves devaient chacun : Écrire leur prénom ; prendre une photo
de leur visage et la coller sur le document près du prénom ;
enregistrer leur prénom et disposer le bouton sur la photo. Le
protocole proposé était très voisin et tout aussi complexe que
celui proposé par Carole Lopez pour la fabrication de l'imagier.
J'ai
accompagné pas à pas 4 élèves dans la création du document, sous
les yeux du reste du groupe. J'ai ensuite laissé la tablette à
disposition du groupe en demandant que chacun construise sa propre
présentation. A la fin de la journée, le document était terminé
sans que j'ai eu à intervenir.
Adrien (Moyenne Section)
-->
Le
lendemain sans nouvelle consigne, les élèves de Grande Section avaient
eux aussi tous réalisé leur propre présentation.
Commentaires
:
La
première surprise fut de voir avec quelle rapidité ces jeunes
élèves ont appris le protocole permettant de créer une
présentation. Après seulement 4 « créations accompagnées »
et observées, le groupe a été capable d'apprendre à chacun à
réaliser sa présentation.
La
première analyse fut de penser que le groupe avait porté les élèves
lors de la création du document. Par acquis de conscience j'ai donc
après le week-end procédé à une petite vérification.
J'ai
demandé à chaque élève de Moyenne Section, individuellement de
refaire une présentation. 9 élèves sur 10 ont réussi sans aucune
aide extérieure. Lors de cette passation j'ai pu observer que les
élèves ne respectaient pas forcement l'ordre des actions que
j'avais proposé au départ. Chacun avait donc vraisemblablement
parfaitement compris la complexité de la tache; créer 3 objets
numériques différents (Écrit, Image, Son) et les assembler sur une
même surface. Ils aussi ont bien perçu que l'ordre de création
n'avait dans ce cas pas d'importance pour arriver au résultat
attendu.
Pourquoi
et comment des apprentissages aussi complexes, des procédures aussi
longues, peuvent ils se mettre en place si rapidement et surtout avec
une telle efficacité ?
Le
second constat surprenant fut l'investissement dans cette réalisation
par les élèves de la Grande Section.
Pendant
la dernière semaine de l'année scolaire les activités
traditionnelles sont certes un peu délaissées et les élèves ont
une plus grande latitude pour choisir librement leurs activités. Les
Grands ont été demandeurs de cette activité, qui au départ ne
leur était pas particulièrement destinée. La tablette est pourtant
un objet connu dans la classe. Elle a été utilisée, elle a circulé
dans les familles comme Cahier de Vie de Classe.
Est-ce
l'objet, est-ce
l'activité de création du document , ou bien est-ce le fait que les
« Moyens » maîtrisent cette procédure, qui a motivé
l'investissement des élèves de Grande Section dans cette activité
?
Tentatives
d'analyses
Si
ces élèves font l'effort d'apprendre, de s'approprier, les
procédures complexes proposées lors de cette activité, c'est
assurément qu'ils ont une « bonne raison » de le faire.
Les élèves savent bien que cette tablette et les TICE en général sont des sujets qui me tiennent particulièrement à cœur et donc qu'en s'y intéressant ils attireraient particulièrement mon attention. Cela ne suffit cependant pas à expliquer pourquoi cette activité à pris une telle ampleur. Elle a simplement été initiée pour les élèves de
moyenne section, quant aux « Grands » ils s'en sont
emparés sans y être véritablement conviés!
Ce n'est pas non plus à cause l’intérêt suscité par la nouveauté de l'objet car une tablette tactile est présente en classe depuis le début de l'année et a servi de Cahier de Vie de Classe Numérique. C'est un objet qu'ils connaissent bien. Ce n'est pas non plus grâce au sens que cette activité prend dans la classe car elle ne s'inscrit dans aucun autre projet.
Ce n'est pas non plus à cause l’intérêt suscité par la nouveauté de l'objet car une tablette tactile est présente en classe depuis le début de l'année et a servi de Cahier de Vie de Classe Numérique. C'est un objet qu'ils connaissent bien. Ce n'est pas non plus grâce au sens que cette activité prend dans la classe car elle ne s'inscrit dans aucun autre projet.
A
défaut de faire appel au sens, cette activité semble convoquer « les Sens. » Sur la tablette tactile,
l'action et la trace passent par le
toucher,
la photo convoque les
perceptions visuelles,
(reconnaissance , cadrage...), l'enregistreur sonore, l'audition.
Ce travail semble donc véritablement ancré dans la sensorialité
et les perceptions.
Au
sujet des sens, Michel Serres pourrait quelque peu orienter notre
réflexion. Dans Les
Cinq Sens (1), il
nous
présente la peau comme l'organe des sens fondamental.
« La
sensibilité, alerte ouverte à tous les messages tient la peau mieux
que l'œil, la bouche ou l'oreille… la peau, variable fondamentale,
sensorium
commune ; sens
commun à tous les sens , faisant pont, lien, passage entre eux... ».
Les
sensations tactiles revêtent donc de ce fait une importance toute
particulière. L'organe du toucher, la peau formerait une sorte de
toile de fond supportant les autres sens, les reliant.
Peut
être est ce donc du coté du tactile et de la peau qu'il nous faudra
chercher la cause de l'intérêt suscité par l'activité proposée.
Les
travaux de Didier Anzieu et sa théorisation du « Moi Peau »
pourraient nous apporter de nouveaux éclairages. Il définit le « Moi
Peau » (2) en expliquant que “la première différenciation
du moi au sein de l’appareil psychique s’étaye sur les
sensations de la peau et consiste en une figuration symbolique de
celle-ci. C’est ce que je propose d’appeler le Moi-peau” écrit
il.
Peut
être est ce une part de cette relation symbolique profonde entre le
moi et la peau que les enfants retrouvent lors de l'utilisation de la
tablette. L'analogie entre l'écran tactile et la peau est
relativement
facile à établir. Ne serait-ce que sur le plan de la structure. La
structure physique en couche de l'écran de la tablette est à
rapprocher de la structure biologique en couches de la peau mais les
similitudes vont beaucoup plus loin.
Pour
Didier Anzieu,
la peau est une « surface qui relie entre elles les sensations
de différentes natures et les fait ressortir comme figures du fond
tactile. C'est la fonction d'inter-sensorialité qui aboutit à la
constitution d'un « sens commun » dont la référence de base se
fait toujours au toucher.(1 p 127).
Tout
comme Michel Serres plus haut, Anzieu propose de considérer la peau
comme un organe fondamental support des autres sens. Le sens commun
pour Anzieu aussi est donc basé sur les liens tissés entre les
différents sens. Il est à remarquer que dans l'activité proposée
à ces jeunes élèves, l'image, le son, le texte figurant l'identité
du sujet, sont posés, inscrits regroupés, par le toucher l'écran.
Cette surface permet visiblement de faire le lien entre ces
différents éléments.
Si
l'on veut poursuivre l'analogie plus avant, et questionner la nature
de ces liens, retrouvons le texte d'Anzieu. La première fonction de
la peau est une fonction contenante. « De même que la
peau enveloppe tout le corps, le Moi-peau vise à envelopper tout
l'appareil psychique.... Le Moi-peau est alors figuré comme écorce,
le Ça pulsionnel comme noyau. » (1
p124). Il rappelle aussi qu'à la carence de la fonction
d'inter-sensorialité répondent des angoisse de morcellement et de
démantèlement.
Anzieu
propose donc de considérer la surface (peau) comme une enveloppe, un
contenant. Notre proposition d'activité sur la tablette, même si
cela n'était pas véritablement pensé au départ, propose aussi
implicitement cette dimension contenante. Ce travail de présentation
de soi, de regroupement de trois éléments caractérisant l'identité
(nom, photo, voix) sur l'écran de la tablette renforcerait peut être
l'idée rassurante d'une cohésion de soi. La surface de l'écran de
simple support se transformerait alors symboliquement en enveloppe
rassurante, à la fois lieu, marqueur et témoin de la cohésion de
soi. L'enfant étant l'acteur de cette mise en forme, peut être
est-ce pour cela que la tablette suscite à ce point l’adhésion
des enfants à l'activité.
Pour
poursuivre l'analogie Écran / Peau, il semble aussi important de
considérer la peau comme un organe de communication et donc sa
dimension sociale. Il y a assurément, une composante liée au groupe
dans la réalisation de ce travail.
La
encore, Didier Anzieu nous apporte des pistes de réflexion. « La
peau avec les organes des sens tactiles qu'elle contient (…)
fournit des informations directes sur le monde extérieur,... »
En même temps que la bouche ou, du moins, autant qu’elle la peau
est un lieu et un moyen majeur de communication avec les autres,
permettant d’établir des relations significatives. De plus,
« c’est une surface d’inscription des traces laissées par
celles-ci. Le « Moi Peau » remplit une fonction
d'inscription
de traces
sensorielles tactiles. Cette fonction développe un double appui
biologique et social. (1 p128).
Quand
Anzieu fait référence à la bouche on peut y voir bien sûr une
référence à la communication langagière mais peut être aussi une
allusion à l'ingestion. Il met en évidence un mouvement du dehors
vers le dedans dans lequel la peau permet d'intégrer, des
informations du monde extérieur. La tablette est dotée de capteurs
photo-numérique, sonore, qui dans l'activité présentée, lui
permettent d'intégrer des information de l’extérieur. Mais elle
peut aller bien au-delà. Même si ce n'est pas mis en œuvre dans ce
cas, la tablette est aussi dotée d'une multitude d'autres capteurs.
Elle est capable de détecter des mouvements, de se localiser
géographiquement, de détecter des variations de température, de
champs magnétique, et même de radioactivité grâce à l'analyse
des interférences sur le capteur vidéo. À l'image de la peau la
tablette a la capacité d'intégrer un grands nombre d'informations
venues de l’extérieur, informations qui complètent ou parfois
amplifient celles de la peau et permettent d'étendre le champ des
perceptions.
La
tablette garde aussi la trace du travail élaboré en commun. Les
élèves ont effectivement dû collaborer pour réussir à mettre en
forme leur petite présentation. Seuls quatre élèves au départ ont
été accompagné par un adulte dans la création de leur
présentation. Sur la tablette sont effectivement inscrits les trois
éléments qui constituent la présentation, mais ces éléments sont
aussi autant de traces des relations qui ont permis la « réussite ».
Relations de transmission, d'écoute, d'acceptation de la parole de
l'autre mais aussi certainement d'opposition, de conflits et donc
certainement aussi de médiation. La tablette garde aussi la trace de
cette inscription dans ce groupe, auquel chaque élève avait
visiblement très envie d'appartenir.
Quelques
conclusions :
L'effet
de contagion constatée lors de cette activité, produit une certaine
excitation chez l'enseignant qui constate cela. Les enfants
apprennent tout seuls, plus rapidement et bien plus que ce qu'il
était raisonnable d'attendre d'eux. Si cet article tente de proposer
un début d'explication du pourquoi de l'attrait des jeunes enfants
pour la tablette tactile, il ouvre aussi un grand chantier.
- Comment nous enseignants pourront nous nous saisir de cet engouement, de cette motivation déclenchée par l'outil, pour l'utiliser à des fins d’apprentissages ?
- Comment pourront nous intégrer ces outils à notre pédagogie ?
La
question « Devons nous le faire ? » étant
résolument derrière nous !
Ces
essais et réflexions sur l'utilisation de la tablette, avec
l'éclairage de la théorie de Didier Anzieu sur le « Moi
Peau » nous engagent à réfléchir la possibilité d'une nouvelle enveloppe; "une enveloppe numérique". Certainement un élément supplémentaire, s'il en fallait, pour considérer qui nous faut à l'avenir penser la construction de l'identité numérique de
ces jeunes élèves.
Références
- Serres Michel Les Cinq Sens Grasset (1985 ré-edition 1990)
- Anzieu Didier Le Moi Peau Psychismes Dunod (1985 ré-edition 2006)
- René Kaës « Du Moi-peau aux enveloppes psychiques. Genèse et développement d'un concept », Le Carnet PSY 4/2007 (n° 117), p. 33-39. URL : www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2007-4-page-33.htm. DOI : 10.3917/lcp.117.0033.
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