Comment tenter de retracer, les errances et les doutes, les remises en questions, les revirements qui parfois conduisent à la conception d'une séquence pédagogique inédite ?
A l'école maternelle les tableaux de Paul Klee font référence. Ils se retrouvent dans les ouvrages spécialisés de la bibliothèque, en affiche sur les murs des couloirs... Ils servent parfois de modèle ou de support d'activité.
Au détour d'une rencontre, j'ai pu apprendre que Paul Klee avait donné des cours à l'école du Bauhaus de Weimar en 1921 et surtout qu'il existait un « fac simile » (1) de ces cours. La curiosité aidant, et internet facilitant les choses, j'ai pu me procurer cet ouvrage.
L'ouvrage est magnifique, l'écriture de Klee, se lie à des schémas, des croquis de sa main, le tout est d'une grande poésie.
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A première vu un enseignant de maternelle ne peut qu'être attiré voire séduit par un tel ouvrage. La couverture nous invite intuitivement à la calligraphie. Traits et boucles, points et rotations, lignes et marges, sont autant d'éléments familiers à l'enseignant qui cherche à conduire ses jeunes élèves sur les chemin de l'écriture. Il est tellement évident de voir qu'elle parti il sera possible de tirer des lignes tracées par Klee. Activités graphiques, « écriture » les pistes s'ouvrent.. Le travail semble préparé, la voie semble toute tracée.
Mais avons nous à proposer à nos élèves un simple travail de copiste, aussi exceptionnel que puisse être le modèle. La proposition d'une simple imitation, nous conduirait à mettre en place une pédagogie de la « tâche à accomplir » exempte de toute réflexion de l'élève. Certes les exercices systématiques font partie des processus qui renforcent les apprentissages, mais ils ne sauraient en aucun cas prétendre à remplacer la réflexion qui construit le savoir de l'élève.
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Comment faire pour que des élèves de maternelle rencontrent le travail exceptionnel de Paul Klee et en tirent matière à penser, à réfléchir, à se questionner ?
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Parcourant les cours de Paul Klee, je m'arrêtais sur le cours du 28 novembre 1921. Est ce parce que ce jour, anniversaire de Claude Levi Strauss me tiens particulièrement à cœur, ou bien attiré par l'harmonie qui se dégageait des courbes tracées par Klee, mais je m'arrêtais intuitivement pour lire avec plus d'attention les commentaires.
Klee y traitait de la notion de convergence. Partant de ce qu'il avait choisi d'appeler « une ligne libre » (en gras sur la figure ci dessus) il proposait d'accompagner cette première ligne d'une seconde absolument convergente (exemple du haut) ou d'une ligne convergente dans les faits ( exemple du bas).
Pour expliquer la dynamique de ce deuxième exemple, cette seconde ligne qui accompagne engardant un certaine autonomie, Klee nous livre une image singulière:
« un peu comparable à la marche d'un homme avec son chien qui l'accompagne ».
Marcher ; dans les mots de Klee se trouvait la clef du travail à effectuer avec les élèves. Commencer par « ancrer » les apprentissages dans l'expérience du corps. Le déplacement du corps dans l'espace de la pièce, prépare à la maîtrise du déplacement du stylo sur une feuille. L'intuition prend forme et se structure; est elle pour autant aboutie ?
Les premières séances eurent donc lieu dans la salle de jeu. Après avoir travaillé les déplacements libres, j'ai repris exactement l'image de Klee. Un élève se promenait librement pendant que le second l'accompagnait comme un chien tenu en laisse.
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A la suite des séances en salle de jeu, les élèves ont été invités à « faire un dessin qui explique » ce qu'ils venaient de faire.
L'objectif initial était d'essayer, à partir de ce qu'ils avaient vécu en salle de jeu, d'amener les élèves à trouver des propositions graphiques rendant compte de l'activité. La confrontation avec celles de Paul Klee permettrait ensuite d'enrichir le travail des élèves et de les amener à mieux contrôler et maîtriser des leurs tracés.
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Des dessins qui expliquent.
Les « dessins qui expliquent » ont montré que les élèves, avaient chacun des représentations très diversement élaborées de la situation vécue. Leurs dessins mettaient en lumière la complexité de rendre compte de la situation vécue.
Cette hétérogénéité m'a conduit à envisager une piste de travail nouvelle, en référence à certains objectifs des programme de la maternelle. (2008)
- L'Ecole Maternelle doit laisser à chaque enfant le temps ... de chercher, d’essayer...
- Elle doit stimuler son désir d’apprendre et multiplier les occasions de diversifier ses expériences et d’enrichir sa compréhension.
- Les enfants doivent être amenés à comprendre un camarade ... qui apporte des informations nouvelles.
J'ai donc choisi de laisser de côté le travail graphique, et de questionner les représentations des élèves afin de les amener à réfléchir sur la façon de rendre compte avec justesse et précision de ce qu'ils avaient fait. L'objectif des séances à venir devenait donc de préciser et de faire évoluer ces représentations. Pour, par exemple, expliquer à leur famille. C'est collectivement que ce travail sera effectué.
Pourquoi réajuster et transformer ses objectifs d'apprentissage en cour de séquence ?
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J'évoquais au début de ce texte l'intuition, qui peut pousser l'enseignant à s'engager dans la construction d'une séquence pédagogique. Parfois certaines directions de travail peuvent sembler évidentes à l'enseignant, elles ne le sont pas forcement pour l'élève.
Dans la perspective d'un enseignement qui s'appuie sur la construction du savoir, il paraît important de susciter, ou de savoir reconnaître les situations qui permettront de s'appuyer sur l'intérêt et le désir propre de l'enfant. Dans le cas présent le lien avec les activités graphiques, n'est pas véritablement apparu dans les dessins des élèves.
La première série de dessins permettait de dégager une nouvelle problématique: : « les dessins que vous avez réalisés expliquent-ils convenablement ce que vous avez fait en salle de jeu. »
Dans le cas présent nous nous allons avoir à nous déplacer du champ de la motricité fine et du graphisme à celui du langage et du traitement de l'information : En référence aux Programmes de 2008 nous travaillerons désormais dans le domaine suivant : S'approprier le langage / Échanger, s'exprimer, avec pour objectif que « Les enfants apprennent à échanger, par l’intermédiaire de l’adulte, dans des situations qui les concernent directement... qu'ils acquièrent progressivement les éléments de la langue nécessaires pour se faire comprendre, c’est-à-dire pour qu'ils rendent compte de ce qu’ils ont observé ou vécu.... »
Il s'agit donc pour ces élèves d'élaborer un message rendant compte avec justesse et précision d'une situation vécue; de construire un compte rendu. Ils auront à transmettre toutes les informations et uniquement les informations nécessaires à la compréhension de la situation. Les débats, par excellence « lieux de langage » seront donc le lieu de l'apprentissage ou seront mis en œuvre les éléments du langage tels que « la désignation, l'établissement des liens entre les faits, l'utilisation verbes et des mots ou expressions pertinents, permettant de situer les objets ou les scènes et de décrire les déplacements de manière pertinente. » (programme 2008)
Les dessins sont donc tous affichés au tableau et il est proposé aux élèves de les analyser collectivement. Ces débats permettent à chaque élève de travailler individuellement à la transformation progressive de sa représentation initiale du problème. En ce sens ils permettent une véritable différenciation dans la construction du savoir.
Concrètement les dessins sont triés commentés et analysé en regard de la question unique et récurrente : « Est ce que les dessins expliquent bien ce que vous avez fait en salle de jeu? ». L'objectif est certes complexe mais clairement défini; ce qui est essentiel pour que les élèves puissent évaluer eux même s'ils ont réussi. A la suite de chaque débat une nouvelle phase de mise en forme et proposée aux élèves. Les nouveaux dessins sont à leur tour commentés et c'est ainsi grâce à ce va et viens ente analyse et mise en forme que les élèves sont amenés à transformer leur représentation.
La séance commence par un temps d'observation des dessins affichés puis s'en suit une mise en forme verbale de ce que les dessins doivent véritablement expliquer.
Ce « cahier des charges » clairement déterminé est essentiel car il détermine la part du « contrat » que les élèves ont à remplir. Il permet aux élèves d’apprécier l'avancée de leur travail et donc de l'évaluer.
- Un élève pouvait allait ou il voulait
- Les élèves sont reliés par une petite corde.
- Le second élève peut aller où il souhaite à condition de ne pas lâcher la corde « comme un petit chien qui suit son maître qui se promène ».
Les dessins seront ensuite commentés par la classe en référence à ces attendus.
Lors de cette première séance 4 types dessins ont été dégagés, avec des degrés d'élaboration différents.
fig 3.1 ; fig 3.2
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Fig 1 Dessin du lien avec un chien.(5 dessins)
Commentaire : Il n'y avait pas de chien dans la salle de jeu.
Fig 2 Dessin du lien entre deux élèves (9 dessins)
Commentaire : Le dessin ne dit pas que les élèves se déplacent.
Fig 3.1 Dessin du lien entre deux élèves avec marque d'un seul déplacement. (2 dessins)
Commentaire : Le dessin ne dit pas que le deuxième peu se déplacer.
Fig 3.2 Dessin du lien entre deux élèves avec marque des positions différentes du suiveur. (1 dessin )
Commentaire : Le dessin ne dit pas que le le premier se déplace.
Seuls 3 élèves ont trouvé un moyen de faire apparaître un mouvement (flèche) dans leur dessin.
A la suite des débats les élèves prennent conscience du fait que leurs dessins ne rendent pas totalement compte de la situation.
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A la suite des débats les élèves prennent conscience du fait que leurs dessins ne rendent pas totalement compte de la situation.
L'enseignant propose donc une nouvelle séance de dessin, permettant à chacun de retravailler sa proposition en tenant compte de ce qui a été dit dans les débats.
Ainsi au fil des débats et des séances chaque élève peut faire évoluer la précision de son dessin, à son rythme. Il est amener à penser progressivement la complexité de la situation et à trouver des solutions pour en rendre compte.
Dans le cas présent il aura fallu 5 séances de dessin pour que tous puissent à produire un dessin qui rende compte de toute la complexité de la situation.
La seconde séance à vu :
- l'émergence de la notation de 2 mouvements distincts et du lien (fig 4)
- le renforcement de la notation de lien + 1 mouvement (12)
- le déclin de la notation d'un seul lien (3)
- la disparition de la notation faisant apparaître un chien
fig 4
La troisième séance à vu :
- L'émergence de la notation lien + 2 mouvements + 1 déplacement (1) (fig 5)
- la stabilité de la notation de lien + 1 mouvement (10)
- La montée de la notation de 2 mouvements distincts et du lien (6)
- le déclin de la notation d'un seul lien (1)
fig 5
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Le déplacement est figuré par la ligne sous les personnages.
La quatrième séance à vu :
- L'émergence de la notation lien + 2 mouvements + 2 déplacements (4) (fig 6)
- La montée de la notation lien + 2 mouvements + 1 déplacement (11)
- le déclin de la notation de lien + 1 mouvement (4)
- la disparition de la notation d'un seul lien
Fig 6
La cinquième séance à vu :
- Large prédominance de la notation lien + 2 mouvements + 2 déplacements (fig 6)
- Seuls deux élèves n'ont pas intégrés tous les paramètres demandés ; un cas il était absent à la séance précédente et l'autre parce qu'il lui aura fallu un peu plus de temps et un travail spécifique en tout petit groupe pour y parvenir.
On constate une progression régulière dans la prise en compte des divers éléments dont les élèves avaient à rendre compte. La durée de la séquence (10 séances ; 5 débats et 5 mises en forme écrites) permet à chacun des élèves de construire sa représentation de la situation progressivement. Les élèves peuvent alimenter leur réflexion en puisant dans les échanges verbaux mais aussi dans les situations de recherche/mise en forme écrites.
La réussite d'un petit groupe lors de la 4ème séance a permis d'amener à la réussite de tout le groupe. Certains auront fait le chemin en 4 séances, la majorité en 5 et un petit nombre en 6.
En fin de séquence chaque élève est en mesure de décrire précisément la situation en s'aidant de son dessin. Ces dessins peuvent être considérés comme des sortes d'écrits qui ont aidé les élèves à structurer leur pensée et sur lesquels ils peuvent s 'appuyer pour rendre compte de la situation oralement et avec précision.
De plus participant ensemble à l'élaboration de la solution, les enfants s'intéressent à la parole de l'autre, s'initient à l'argumentation . Ils acquièrent l'expérience des activités collectives et apprennent à collaborer et à coopérer.
(1) Paul Klee. Cours Du Bauhaus ; Weimar. 1921-1922 ; Contributions A La Théorie De La Forme Picturale
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